[…] Je descendis dans le métro. Je me rendais à la radio. J’avais accepté de parler, seul dans une pièce close, les opérateurs de l’autre côté d’une vitre. Seule précaution : leur tourner le dos et aucun bruit. Une illusion d’être chez moi, dans ma pièce, et d’appuyer sur le bouton. Dans le train (avant de croiser l’enfant aveugle), j’avais noté quelques mots. Rarement des phrases, pour y chercher un appui en cas de panne. Je voulais arriver, aller au studio, serrer quelques mains, m’asseoir et démarrer. Tout était dans ce démarrage. Je posai ma montre sur la table, mon carnet ouvert et je levai un bras pour l’enclenchement.

Ça va commencer. Je vais m’ouvrir. Je dois et je veux. Pas parler, mais dire, comme si c’était important. Faire attention, m’approcher, sauter.

Les phrases venaient. Courtes. Il y eut un déclic, ma voix me tractait. J’oubliai où je me trouvais. Je ne butais pas, ne cherchais pas mes mots, ne regardais pas le carnet. Mon seau descendait dans le puits. Je donnais de l’air aux mots. Des inconnus sortaient. Je ne prenais aucun recul. Je venais de toucher un point, resté vivant, des années en arrière. Le temps était un faisceau lumineux éclairant, balayant, m’entraînant, m’enfonçant. La mère de l’enfant aveugle passa près du micro. Sa bouche avalait mes mots. Elle portait des lunettes noires.

La tringle sur laquelle était fixée le micro était blanche aussi.
Ce fut sans hésitation. J’avais levé mon bras.

Fred Deux / Continuum, Journal 1999 / André Dimanche Éditeur.